Préambule
1. Le GERFA ne peut se satisfaire des habituels discours incantatoires sur la construction européenne, mais attend des partis politiques et de leurs candidats aux élections européennes quils déterminent leur attitude, en particulier à légard du projet de traité constitutionnel et de futurs élargissements, sur la base de choix politiques clairs et non de slogans ou de considérations tactiques.
Le GERFA, quant à lui, veut :
une Europe démocratique ;
une Europe européenne, c'est-à-dire indépendante dans un monde multipolaire ;
une Europe qui poursuit le bien-être du plus grand nombre et la lutte contre le chômage ;
une Europe respectueuse des services publics ;
une Europe qui garantit la diversité culturelle et linguistique.
2. Le projet de traité établissant une Constitution européenne a, comme son nom lindique, une double nature, à la fois de traité et de constitution, ce qui est caractéristique dune Confédération (ou dune « fédération dÉtats-nations » selon la formule synonyme de Jacques DELORS) :
si le traité est une constitution, il doit être discuté et voté comme telle. Une constitution nest légitime que si elle à été élaborée et votée par une assemblée démocratiquement élue ce que nétait pas la Convention . En fait, ni les traités existants, ni même le projet de traité constitutionnel pour ses révisions ultérieures, ne reconnaissent un rôle au Parlement européen en la matière ;
la constitution, qui est aussi un traité, doit être soumise à lassentiment non seulement des Parlements des États membres, mais aussi des peuples. Le référendum simpose donc.
3. Le projet de traité qui se baptise Constitution nen présente cependant guère les caractéristiques : outre labsence, jusquà nouvel ordre, dun processus constituant démocratique, il faut relever quil ne se borne pas à fixer un cadre institutionnel permettant le choix entre des politiques différentes, mais consacre des options discutables comme la subordination des services publics (articles III-6 et III-55) au primat dune « économie de marché ouverte où la concurrence est libre » (formule du traité de Maastricht), ou le principe dindépendance de la Banque centrale européenne dont lobjectif principal est la stabilité des prix (article 29, notamment). Tout amendement ultérieur requérant la ratification de tous les États membres puisquil sagit dun traité (article IV-7) , le projet accorde donc un droit de véto aux partisans du néo-libéralisme contre toute majorité désireuse à lavenir de mener une autre politique.
4. Une des causes essentielles du déficit démocratique réside dans les pouvoirs exorbitants de la Commission, confirmés par le projet de traité constitutionnel : non seulement elle a généralement le monopole de linitiative législative (article 25, § 2), mais le conseil des ministres ne peut amender une proposition de la Commission quà lunanimité même dans les matières régies à la majorité qualifiée (article III-301, § 1er) autrement dit, si la majorité est suffisante pour dire « oui » a la Commission, lunanimité reste requise pour la contredire ! . Plus fort encore, un amendement du Parlement qui fait lobjet dun avis négatif de la Commission ne peut être adopté à la majorité qualifiée du Conseil, mais requiert lunanimité (article III-302, § 9).
Le GERFA estime quil faut renforcer les pouvoirs législatifs du Parlement et du Conseil (dont les réunions seront dorénavant publiques lorsquil agit en qualité de législateur : article 49, § 2) ; à tout le moins, la Commission doit sincliner devant les amendements adoptés par le Parlement et approuvés par la majorité qualifiée du Conseil, à moins quelle ne choisisse dengager sa responsabilité politique devant lassemblée.
5. Lélargissement à dix nouveaux membres, effectif le 1 er mai 2004, nest pas moins lourd de conséquences que le projet de constitution ; pourtant, contrairement aux peuples des États adhérents, les peuples de lUnion nont pas eu droit à la parole.
Le GERFA réclame le référendum en cas de nouveaux élargissements.
6. Le projet dune identité européenne en matière de relations extérieures et de défense na de sens que sil exprime une volonté dindépendance et de dialogue dans un monde multipolaire et respectueux des diversités.
Il est dès lors inadmissible que le projet de traité subordonne la définition dune politique de défense aux objectifs dune autre organisation, lOTAN, et donc en fait à la volonté des États-Unis (article 40, § 2) et ne conçoive une éventuelle coopération renforcée que dans ce contexte (article 40, § 7).
Par ailleurs, les coopérations renforcées exigent un seuil dun tiers dÉtats participants et une décision à la majorité qualifiée du Conseil (article 43).
Lélargissement rend la réunion de ces conditions encore plus improbable.
De manière générale, lEurope perd en force et en cohérence ce quelle gagne en étendue, ce qui rend encore plus malaisée son affirmation internationale sur des bases consistantes.
7. Le projet de traité réserve la portion congrue aux droits économiques et sociaux (IIe partie) et maintient la position subordonnée des services publics, qui ont précisément pour rôle den garantir leffectivité en permettant à chacun de mener « une vie conforme à la dignité humaine » (Constitution belge, article 23) dans les conditions dune société moderne. Il est également des plus révélateurs que les mesures de libéralisation des marchés sont adoptées à la majorité qualifiée, tandis que les règles dharmonisation fiscale et sociale qui devraient en corriger les effets restent généralement soumises à la règle de lunanimité.
8. Lindépendance de la banque centrale, dont lobjectif est la stabilité des prix, nest pas équilibrée par un véritable gouvernement économique au niveau du conseil des ministres des Finances et de lÉconomie de lEurogroupe. Plusieurs États adoptent une attitude incohérente à légard du pacte de stabilité, quils refusent de modifier mais dont ils ne respectent pas lensemble des prescriptions ! Certains utilisent les recettes des privatisations pour financer leurs déficits courants, tandis que dautres sautorisent des baisses dimpôts peu compatibles avec leur situation budgétaire : les premiers comme les seconds hypothèquent ainsi lavenir de leurs services publics et du caractère universel de la protection sociale, dans un esprit de compétition sociale et fiscale entre pays plutôt que de solidarité, et privilégient la réduction des prélèvements obligatoires plutôt que linvestissement public dans leurs politiques conjoncturelles.
Là encore, lélargissement est de mauvais augure, la majorité des nouveaux adhérents étant pour lheure plus séduits par les thèses néolibérales de lÉtat minimum que par notre modèle de démocratie économique et sociale.
9. Depuis ladoption de l
Acte unique européen de 1986, la Commission, au lieu dencourager les coopérations entre services publics, sinon de prôner lorganisation de services publics au niveau européen, sest évertuée à les plier aux « lois » du marché, à les déréguler et à les privatiser, avec la complicité de plusieurs gouvernements. Ce faisant, elle à pu sappuyer sur son monopole de linitiative législative et sur ses pouvoirs règlementaires propres en matière de concurrence.
Larticle 7D sur la reconnaissance des «
services dintérêt économique général » , introduit par le
traité dAmsterdam (1997) et repris dans le projet de traité constitutionnel (article III-6), napporte aucune amélioration substantielle à cet égard, car il ne contient aucune garantie et se borne à renvoyer aux dispositions qui les assujettissent au principe de la libre concurrence. Par ailleurs, le rejet, en janvier 2003, du principe dune directive-cadre sur les principes et conditions de fonctionnement des services dintérêt économique général réclamé au Conseil européen de Nice en décembre 2000 laisse le champ libre au grignotage, à coup de directives sectorielles de libéralisation, des services publics de réseau (postes et télécommunications, énergie, transports), tandis que les négociations en cours au sein de lOrganisation mondiale de Commerce (O.M.C.) sur le commerce des services, menées par la Commission au nom de lUnion européenne, sont lourdes de nouvelles menaces.
10. Le GERFA estime donc indispensable :
1° de renforcer, dans la IIe partie du projet de traité, les dispositions relatives aux droits économiques et sociaux tels que le droit au travail, à la sécurité sociale, aux soins de santé, à léducation, au logement, à la communication, aux transports, à des fournitures minimales deau et dénergie..., dont le respect simpose aux organes de lUnion ;
2° seuls lÉtat pris au sens large et les services publics quil organise étant à même dapporter la garantie effective de ces droits, de reconnaitre pleinement le rôle des services publics, dans toutes les dispositions pertinentes du Traité qui tracent les grandes lignes des politiques à mener, ainsi qua titre délément constitutif de la citoyenneté de lUnion (article 8), bref comme un des piliers de la société européenne et non plus comme dérogation ou exception chichement mesurée «
au respect du principe dune économie de marché ouverte où la concurrence est libre » (article III-69) ;
3°, a) de réécrire larticle III-55 qui considère actuellement les entreprises publiques chargées de la gestion des services dintérêt économique général sous le seul angle des entraves quelles peuvent apporter à la libre concurrence, pour reconnaitre pleinement leur légitimité sociale ;
b) en particulier, dabroger larticle III-55, § 3, afin de ne plus permettre que la Commission puisse imposer, sans laccord ni du Conseil ni du Parlement, des directives qui limitent les moyens ou le champ daction des services publics.
11. Enfin, à défaut datteindre un accord suffisamment large sur une définition européenne consistante du service public, le principe de subsidiarité devrait prévaloir : à lUnion de définir les objectifs généraux à atteindre, aux États de décider, en fonction des traditions et des aspirations nationales, sils se satisfont de la régulation dun service universel minimaliste et mal défini, abandonné à la concurrence dune pluralité dopérateurs, publics ou privés, ou sils veulent réserver des missions dintérêt général à des services publics organiques, dotés de tous les moyens daction et prérogatives nécessaires et placés sous lautorité directe des institutions démocratiques.
12. Le projet de traité constitutionnel ninnove pas quant au régime des langues dans lUnion : les langues officielles sont celles énumérées dans larticle IV-10, soit les 21 langues officielles des 25 États membres, que les citoyens ont le droit dutiliser dans leurs relations avec les institutions et organes consultatifs de lUnion (articles II-41, § 4 et III-12) ; pour le surplus, larticle III-339 dispose que «
le conseil des ministres adopte à lunanimité un règlement européen fixant le régime linguistique des institutions de lUnion, sans préjudice du statut de la Cour de justice ».
Ces dispositions sont devenues totalement insuffisantes.
Il ne faut en effet pas être grand clerc pour comprendre que la situation actuelle est intenable : il est impossible de tenir toutes les réunions de travail et de diffuser tous les documents préparatoires en vingt langues, ainsi que de recruter des traducteurs et interprètes dans toutes les combinaisons de ces langues (ex. maltais-slovène !). La tentation est donc grande de généraliser langlais et lui seul.
Pour le GERFA, la promotion sournoise de langlo-américain, qui est lidiome de la mondialisation néolibérale (à pensée unique, langue unique ?), comme langue de travail exclusive de lUnion est inacceptable, surtout pour les Francophones, dont la langue conserve un statut international tant en Europe que dans le monde : elle est inconciliable avec lidéal dune Europe européenne, attachée à la diversité culturelle et au pluralisme, porteuse dun modèle de société différent du modèle américain et protagoniste dune société internationale multipolaire.
13. Le GERFA préconise donc :
a) le respect de toutes les langues nationales comme langues officielles : tout citoyen européen doit pouvoir sadresser aux organes de lUnion et avoir accès aux lois et règlements européens et à toute documentation officielle pertinente dans sa langue nationale, tout élu doit pouvoir exercer son mandat en utilisant la langue de ses électeurs ;
b) lutilisation comme langues de travail et langues-relais (pour la traduction) de trois langues sur pied dégalité : langlais, lallemand et le français, comme le proposait Robert BADINTER dans son projet de constitution.
Ces dispositions essentielles doivent naturellement trouver leur place dans le traité constitutionnel.
14. Le GERFA considère que le personnel de lUnion européenne doit rester soumis à un statut ; il sinquiète du recours croissant aux engagements contractuels et à la sous-traitance, source de gaspillages voire de corruption.
Le projet de traité est peu loquace dans ce domaine
«
Art. III-304, § ler. Dans laccomplissement de leurs missions, les institutions, les organes et les agences de lUnion sappuient sur une administration ouverte, efficace et indépendante.
§ 2. Sans préjudice de larticle III-332, la loi européenne fixe les dispositions spécifiques à ce sujet.
Art. III-333 - La loi européenne fixe le statut des fonctionnaires de lUnion et le régime applicable aux autres agents de lUnion. Elle est adoptée après consultation des institutions intéressées.»
Les règles essentielles dorganisation de ladministration et le statut des fonctionnaires doivent donc être adoptés conjointement par le Parlement européen et le conseil des ministres, et le régime statutaire reste la règle, le contrat, lexception.
Le GERFA relève cependant lambigüité préoccupante de la distinction entre « fonctionnaires » soumis au statut et « autres agents » dans certains pays, la qualité de fonctionnaire est réservée aux emplois dautorité, de direction ou de conception et labsence de référence au principe du concours, qui garantit légalité devant laccès aux emplois publics.
Références (GERFA) :
Mémorandum du GERFA, mai 1995, pp. 9 à 11.
Réflexions sur le service public, chap. IV : les services publics et lEurope, in diagnostic, n° 136 (mars 1996), 138 (mai 1996) et 139 (juin 1996) (version actualisée de la contribution du GERFA au Livre blanc des services publics des communications, édité en juin 1994 par le Comité de défense du service au public).
Les services publics au cur de lEurope, communiqué du Comité de défense du service au public (sur la base dune proposition du GERFA), 28 février 1996, in diagnostic, n° 136 (mars 1996).
ATTAC, Appel pour un renforcement des services publics, in diagnostic, n° 201, (octobre 2002).