Depuis sa création, le GERFA
adhère aux principes d’objectivité et
d’impartialité. Cette adhésion, murement
réfléchie et constamment répétée,
s’inscrit dans le combat permanent pour l’État de droit, le
respect de l’égalité, l’interdiction des
discriminations ; il s’inscrit également dans la
volonté de disposer de services publics efficaces, mais aussi
bénéficiant chez les citoyens du respect et de la
crédibilité. Des services publics partiaux et/ou
clientélistes sapent l’État de droit et l’autorité
dont ils doivent bénéficier et mènent à
terme à son délitement. Le combat est donc essentiel et
les partis politiques devraient surement y être plus attentifs.
Le combat du GERFA s’inscrit également dans le principe de
laïcité de l’État qui implique non seulement la
neutralité de l’État, mais aussi le fait que les
religions n’y ont aucun rôle à jouer.
La question du « vivre ensemble » et du
partage des valeurs communes est donc clairement posée et il
faut dire que les réponses alambiquées n’ont pas
toujours été convaincantes.
C’est ainsi qu’en ce qui concerne les signes convictionnels dans les
services publics, soit le voile ou d’autres signes, le monde politique
a été particulièrement frileux et a accepté
qu’ils soient portés sans grande réaction.
Dans son communiqué du 7 juillet 2009, PAS DE VOILE DANS LES SERVICES PUBLICS,
le GERFA rappelait pourtant une position sans ambigüité :
L’arrêté royal du 14
juin 2007 modifiant l’arrêté royal du 2 octobre 1937
portant le statut des agents de l’État prévoit :
Lorsqu’il est, dans le cadre de ses
fonctions, en contact avec le public, l’agent de l’État
évite toute parole, toute attitude, toute présentation
qui pourraient être de nature à ébranler la
confiance du public en sa totale neutralité, en sa
compétence ou en sa dignité.
Dans sa circulaire n° 573 du 27
aout 2007, le ministre de la Fonction publique Christian DUPONT (PS) a
confirmé ce principe en l’étendant puisque la notion de
contact avec le public a été supprimée :
Dans l’exercice de leur fonction, les agents restent neutres.
Dans le respect de leurs droits
constitutionnels, ils font en sorte que leur participation à ou
leur implication dans des activités politiques ou philosophiques
ne porte pas atteinte à la confiance de l’usager dans l’exercice
impartial, neutre et loyal de leur fonction.
Il est bien évident que le
port du voile (foulard) ou de tout signe distinctif (syndical,
politique, religieux) contrevient aux dispositions ci-dessus dans la
mesure où il peut porter atteinte à la confiance de
l’usager.
Il ne s’agit nullement de condamner tel ou tel comportement, mais de
rappeler aux agents concernés qu’ils travaillent dans un service
public où le principe de neutralité s’impose.
Les autorités politiques et administratives n’ont cependant pris
aucune mesure, tout en réduisant la portée de
l’interdiction aux seuls agents en contact avec le public. Cela n’a
guère de sens, car les agents qui ne sont pas en contact avec le
public sont bel et bien en contact avec leurs collègues et
affichent ainsi des signes convictionnels clairs, peu compatibles avec
le principe de laïcité et de neutralité.
À l’heure où ces lignes sont écrites, de nombreux
agents continuent de porter des signes convictionnels dans les SPF,
dans les parastataux ou encore à la Région bruxelloise.
Nous rappelons inlassablement ces positions, car nous estimons que les
autorités font preuve de frilosité et manquent de
cohérence.
Et ce manque de cohérence, voire cette complaisance, a
brutalement refait surface à l’occasion de la polémique
sur la reconnaissance du génocide arménien.
En effet, trois députés bruxellois et
l’ex-secrétaire d’État à la Région
bruxelloise Emir KIR (PS) par ailleurs député
fédéral, d’origine turque, ont refusé de
s’associer aux minutes de silence dédiées à la
commémoration, tandis qu’une autre députée
bruxelloise Mahinur ÖZDEMIR, appartenant au CDH, refusait de
reconnaitre le génocide et se limitait à admettre le fait
qu’il y avait eu des massacres. Enfin, quelques jours auparavant, le
ministre des Affaires étrangères, Didier REYNDERS (MR),
n’avait pas dit autre chose et avait considéré
étonnamment que le génocide devait au préalable
être reconnu par les juridictions alors que les faits se sont
produits il y un siècle et que tous les protagonistes sont
décédés.
Les trois partis traditionnels furent donc concernés. Le Premier
ministre remit les pendules à l'heure, désavouant les
déclarations maladroites de son ministre des Affaires
étrangères, et déclara reconnaitre sans concession
le génocide au nom du gouvernement. Parallèlement, le
député Denis DUCARME déposait une
résolution invitant le gouvernement à commémorer
le génocide, mais pas explicitement à le reconnaitre. Du
côté du PS, Emir KIR fut convoqué par le
président qui se limita à une mise au point. C'est du
côté du CDH que vint la réaction la plus
tranchée puisque M. ÖZDEMIR en fut exclue et priée
de remettre ses mandats à disposition du parti, ce qu'elle ne
fit pas évidemment; mais le CDH ne s'arrêta pas, là
puisque son député Georges DALLEMAGNE déposa une
résolution claire invitant le gouvernement à reconnaitre
le génocide, ce qui tranchait avec le projet de
résolution ampoulé du MR.
Contrairement aux déclarations de Didier REYNDERS, la
qualification de génocide n'appartient pas aux seuls tribunaux,
mais également au pouvoir politique qui doit prendre ses
responsabilités, à l'instar d'ailleurs du Premier
ministre et du CDH; notons que le génocide a bien
été reconnu par le Sénat et par vingt-quatre
parlements et états, dont l'Assemblée nationale
française et la Douma russe, que le fait historique n'est
pas contestable et qu'il faut maintenant clarifier
définitivement le problème. C'est le but de la
résolution déposée par le CDH invitant le
gouvernement belge à reconnaitre le génocide.
Mais pourquoi cette reconnaissance soulève-t-elle autant de
problèmes et de confusions? L'origine de la difficulté
doit être trouvée dans le communautarisme et dans la
volonté d'un certain nombre de partis de chasser les suffrages
d'une communauté nationale déterminée et de faire
élire des représentants provenant de cette
communauté.
M. ÖZDEMIR et les trois députés bruxellois comme
Emir KIR tirent donc leur légitimité des suffrages qui
leur sont accordés par leur seule communauté. Cela
signifie donc qu'ils ne considèrent pas représenter
l'ensemble des citoyens belges ou, pour le parlement bruxellois les
citoyens bruxellois, mais les seuls ressortissants de la
communauté qui les a élus.
Et leur légitimité est encore altérée par
leur double nationalité et leur double allégeance qui les
contraint à prendre en compte non seulement les perceptions de
leur communauté, mais aussi celles de l'État dont ils
partagent la nationalité (
1).
Bref, ces députés ont deux maitres ou deux
référents : la société belge et
l'État belge, d'une part, et la société turque et
l'État turc, d'autre part.
En flirtant constamment avec le vote communautariste, certains partis
ont accrédité l'idée que le grand écart
était possible et ont permis à certains
députés de s'affranchir des références
belges, de revendiquer une double légitimité et de
prendre leurs consignes de vote à Ankara en ce qui concerne le
génocide arménien.
En étant frileux sur le voile porté par M.
ÖZDEMIR -qui bénéficiait du soutien de J.
MILQUET -au parlement bruxellois ou sur les signes convictionnels dans
l'administration publique, les gouvernants permettent à la fois
l'estompement de nos valeurs et la soumission aux valeurs ou oukases
d'un autre État.
Un vrai État neutre, à défaut d’être
laïque, ne se marchande pas ! Un vrai État neutre
promeut ses valeurs et applique la même loi à tous. C’est
d’ailleurs la meilleure formule pour parvenir à
l’intégration de tous. Toute autre formule aboutit au
résultat contraire. Ce principe parait oublié par tous
ceux qui sont à la recherche d’électeurs et qui
éludent les exigences d’un État neutre et impartial.
Bref, le clientélisme, qu’il soit électoral ou autre,
produit une sorte d’angélisme et de négation des valeurs
communes que nous risquons de payer de plus en plus cher.
Michel LEGRAND