Tout le monde sait que la justice
coute cher et même très cher et que son accès est
réservé aux citoyens qui en ont les moyens.
Naguère, la ministre ONKELINX, constatant les difficultés
pour certains de mener un procès, avait souhaité
instaurer une assurance obligatoire pour couvrir les frais
d’accès à la justice. Cette idée, mal
dégrossie, avait pourtant le mérite de dénoncer le
cout exorbitant des procédures et la discrimination qu’il
provoquait entre les usagers.
En 2014, on est très loin de ces idées puisque le
gouvernement a décidé de renchérir
considérablement les frais d’accès à la justice et
au Conseil d’État, en particulier sous l’impulsion de la
ministre CDH Joëlle MILQUET.
L’année a commencé très fort puisque les
honoraires d’avocat ont été soumis à la TVA
à partir du 1er janvier 2014 ! Dont cout, 21 %
d’augmentation pour la moindre prestation d’un avocat ; cette
augmentation fait suite en juillet 2013 à la soumission des
honoraires de notaire et d’huissier (
1) à
cette même TVA. Il est donc particulièrement malvenu de la
part des responsables politiques de se lamenter assez hypocritement sur
le renchérissement des prix immobiliers alors qu’ils y
participent activement et qu’ils ne prennent aucune mesure
structurelle et générale pour les limiter comme la
réduction des droits d’enregistrement, beaucoup plus
élevés que chez nos voisins. Pour une requête au
Conseil d’État qui est souvent facturée par un avocat aux
environs de 5.000 euros, tous mémoires compris, cela fait 1.050
euros en plus ! Ainsi, un agent qui conteste une nomination dont
il a été évincé devra payer une TVA sur les
honoraires d’avocat, qu’il gagne ou que sa requête soit
rejetée. On ne voit vraiment pas où se cache la valeur
ajoutée !
Mais si l’année avait mal commencé pour tous ceux qui
doivent faire appel à un avocat, elle allait devenir franchement
mauvaise pour ceux qui s’adressent au Conseil d’État et parmi
eux des centaines de citoyens ordinaires qui font appel à la
Haute juridiction pour contester des décisions qui leur
paraissent illégales ou arbitraires. Car il ne faut pas croire
que les seuls requérants sont des sociétés
privées bien pourvues, évincées d’un marché
public ou d’une subvention ; non, de nombreux requérants
sont des fonctionnaires, du rang le plus élevé au rang le
plus modeste (
2), et des citoyens qui souhaitent
préserver leurs conditions de vie dans la ville et qui
contestent des plans d’aménagement ou des permis
d’urbanisme.
En effet, la loi du 19 janvier 2014 modifiant les lois
coordonnées sur le Conseil d’État a prévu que,
désormais, le requérant dont la requête
était rejetée pouvait être condamné à
payer une indemnité de procédure, à l’instar de ce
qui se fait déjà devant les tribunaux judiciaires. Depuis
2008, devant ces tribunaux, la partie qui succombe doit en effet payer
une indemnité de procédure à l’autre partie si
celle-ci est assistée par un avocat. En revanche, devant le
Conseil d’État, aucune indemnité n’était due
jusqu’au 1er mars 2014 et la partie dont la requête était
rejetée ou dont l’acte était annulé s’exposait
uniquement au paiement des frais « de
rôle » limités à 175 euros.
C’est désormais révolu, puisque le système des
tribunaux judiciaires est maintenant adopté pour la juridiction
administrative. Comme MILQUET l’a signalé lors des travaux
préparatoires, il s’agit de punir les requérants pour
leur légèreté puisque, selon elle, deux tiers des
requêtes sont rejetés (
3).
Drôle de motivation pour une ministre, par ailleurs juriste, qui
consiste à punir ceux qui utilisent leur droit de recours. De
toute manière, cette explication ne convainc pas, puisque la loi
(
4) permettait déjà d’infliger une
amende à ceux qui introduisent une requête
téméraire ou vexatoire ou dans un seul but dilatoire.
Mais peut-être que MILQUET ne fait que régler ses comptes
avec la juridiction et avec les requérants, puisqu’il ne faut
pas oublier qu’elle a été l’artisane, du temps où
elle était au cabinet LEBRUN, des nominations politisées
à l’Aide à la Jeunesse réparties entre le PS et le
PSC et annulées par le Conseil d’État puis par la Cour
constitutionnelle (
5). La menace de la
condamnation à une indemnité de procédure en fera
reculer plus d’un et permettra ainsi aux ministres et aux
cabinets de politiser en rond sans risque de contrecoup juridique et
médiatique.
Cette indemnité de procédure, fixée à 700
euros si on se réfère au projet en la matière, ne
sera due que si la partie qui a eu gain de cause a fait appel à
un avocat. Comme la plupart des autorités administratives font
appel à des avocats (et parfois à des avocats très
chers), le risque de devoir payer l’indemnité est
évidemment très important. Par ailleurs, beaucoup de
requérants, et en particulier les fonctionnaires, se
défendent sans avocat, soit directement, soit en passant par des
associations comme le GERFA qui réclament des frais
d’assistance ; dans ce cas , le requérant qui
obtient l’annulation n’aura pas droit à l’indemnité de
procédure alors qu’il a investi son temps et des frais
d’assistance. Bref, on le voit, le système est
profondément injuste et nie la nature du contentieux ouvert
devant le Conseil d’État. En effet, devant cette juridiction,
c’est essentiellement l’État de droit qui est en question et
l’exigence de légalité qui doit être
respectée par les autorités administratives (
6). On n’est pas du tout dans le même
scénario devant les tribunaux judiciaires, où, en
général, c’est un conflit entre deux parties qui doit
être tranché.
Et les mauvaises nouvelles continuent à s’accumuler, puisque
tout recours sera bientôt soumis au paiement de 200 euros
dès son introduction. Si on ajoute la TVA sur les honoraires, le
risque de l’indemnité de procédure et les 200 euros, on
peut dire que l’addition est salée et qu’on est passé en
trois mois d’une juridiction relativement bon marché (ce qu’elle
devait être pour ses concepteurs) à une juridiction
couteuse, d’autant plus que les avocats spécialisés en
droit administratif pratiquent des tarifs plus élevés que
les avocats généralistes.
Le signal donné par le gouvernement et en particulier par la
ministre MILQUET est donc intrinsèquement mauvais et contraire
à la volonté affichée de rendre la justice
accessible pour tous et d’en limiter les frais d’accès. MILQUET
et le gouvernement rendent cet accès couteux et donc
inégalitaire.Pire, c’est pour décourager les recours qui
dérangent que l’indemnité est instaurée. Le GERFA
a décidé de contester cette mesure inique devant la Cour
constitutionnelle en espérant que les hauts magistrats prendront
toute la mesure du mécanisme inique de l’indemnité de
procédure.
(
1) La soumission de prestations d’huissier a pour effet de rendre la
situation des débiteurs encore plus fragile et de réduire
d’autant la masse saisissable. Bref, tout le monde y perd sauf
l’État et l’huissier !
(
2) 52 assistants administratifs du SPW ont introduit un recours en
annulation contre les mesures du ministre COURARD les privant de leur
accession légitime à l’échelle
supérieure : en cas de rejet, l’affaire aurait pu couter au
tarif actuel 36.400 euros ! Impossible d’assumer un tel
risque !
(
3) Ce n’est pas la proportion pour les requêtes introduites avec
l’assistance du GERFA, puisque notre taux de réussite frise les
75 % ; toutefois, nous ne donnons pas suite à toutes
les demandes et nous écartons d’office les requêtes mal
fondées ou fantaisistes.
(
4) Voir l’art. 37 des lois sur le Conseil d’Etat qui prévoit
une amende de125 à 2.500 euros si le recours est
manifestement abusif.
(
5) Voir de nombreux articles publiés dans
« diagnostic » et repris en synthèse dans
le syllabus C’était l’administration de la fin du XXe
siècle et du début du XXIe siècle, GERFA, 7e
édition,2009.
(
6) Sous cette appellation, nous reprenons toutes les autorités
énumérées par l’art. 14 des lois sur le
Conseil d’État, même si certaines d’entre elles ne sont
pas des autorités administratives dépendant du pouvoir
exécutif comme notamment la Cour des comptes ou encore le
Conseil supérieur de la Justice.