Les défaites en rase campagne
se succèdent à un rythme soutenu. Après la
reculade historique qui s’est conclue par la scission de
l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), le
gouvernement bruxellois décide en juin de construire le nouveau
stade à Grimbergen, précisément dans cet
arrondissement où les Francophones n’ont plus rien à
dire, sinon à contribuer au paiement des infrastructures ;
à l’automne, on apprend que la victoire francophone à
propos de l’arrondissement, judiciaire cette fois, de
Bruxelles-Hal-Vilvorde vient de se muer en défaite cinglante
à cause de l’incompétence et du manque de fermeté
des négociateurs francophones. Tableau suivant : le 23
octobre, le gouvernement flamand décide d’élargir le ring
(périphérique) nord de Bruxelles sans concertation et
certainement au préjudice des habitants de Bruxelles. Et ce
n’est peut-être pas terminé !
Sommes-nous maudits pour devoir supporter autant de reculades, de
capitulations et de mauvaises décisions, ou bien plus simplement
sommes-nous représentés et dirigés par des
responsables notoirement incompétents ou pusillanimes ?
Mais reprenons ces dossiers un par un et examinons les
conséquences pour Bruxelles et les Francophones. Car, ne nous
trompons pas, chaque fois que Bruxelles et son million de Francophones
sont attaqués, c’est l’ensemble des Francophones qui sont
préjudiciés et humiliés.
Dans l’affaire de l’arrondissement électoral, tout a
été concédé, à la notable exception
des six communes à facilités pour lesquelles une certaine
protection a été garantie. C’était le prix
excessif à payer pour préserver la paix communautaire,
nous a-t-on dit. Il n’empêche que l’ensemble du territoire autour
de Bruxelles est maintenant verrouillé et la porosité
électorale permise par cet arrondissement est désormais
supprimée. L’élargissement du ring est à cet
égard emblématique et n’aurait pu être
décidé de manière aussi cavalière si
l’arrondissement avait été maintenu et si les
électeurs de Bruxelles avaient gardé une influence dans
la désignation des députés fédéraux
de cet arrondissement. À partir du moment où les
électeurs de Bruxelles n’ont plus rien à dire, il ne
faisait aucun doute que le gouvernement flamand foncerait dans ses
projets pharaoniques sans se préoccuper encore des avis de la
population de Bruxelles ; c’était écrit et pourtant
les négociateurs francophones n’ont pas voulu prendre la mesure
du problème. Ah, on allait oublier : pour prix de leur
capitulation, ils ont obtenu la création de la communauté
métropolitaine, sorte de bidule qui devait
précisément régler les problèmes entre
Bruxelles et sa périphérie. Pire, ils s’en sont
vanté en vendant cette trouvaille aux électeurs,
admiratifs et éberlués devant tant de ressources !
Le hic, et c’était largement prévisible, c’est que les
Flamands se préoccupent de ce bidule comme un poisson d’une
pomme et qu’ils n’ont nullement l’intention de l’activer. La preuve,
même le pâle ministre-président de la Région
bruxelloise, le socialiste Rudy VERVOORT, n’en a guère fait
état et propose la création d’une « task
force » (
1) réunissant les représentants de
Bruxelles et de la périphérie pour régler les
problèmes requérant une concertation.
Dans l’affaire de l’arrondissement judiciaire, les négociateurs
francophones s’étaient vantés cette fois d’avoir obtenu
une avancée remarquable en ce qui concerne le cadre des
magistrats, fixé à titre transitoire à 80%F et
à 20 % N ; mais ce n’était que transitoire et
le cadre définitif était subordonné à
d’autres conditions, dont le calcul de la charge de travail
confié à KPMG qui se révéla, comme par
hasard, favorable à un cadre différent, soit 71 % F
et 29 % N (
2). Malgré le manque de fiabilité et
d’objectivité du rapport et son caractère douteux sur le
plan légal, les politiciens francophones ont avalisé les
données comme si cela avait été déjà
convenu et que le cadre transitoire n’avait été là
que pour amadouer les électeurs francophones, auxquels on
offrait une petite compensation temporaire de circonstance pour la
scission de l’arrondissement électoral. Il est bien clair que ce
cadre réduit, qui ne reflète ni les proportions de la
population bruxelloise (90 % F-10%N), ni d’ailleurs la charge de
travail mesurée objectivement, ne permettra guère
d’offrir à Bruxelles un service judiciaire efficace, ni
d’accélérer la marche des affaires et de réduire
tant soit peu l’arriéré. Bref, c’est de nouveau le
citoyen bruxellois francophone qui en pâtira.
Arrive le mois de mai avec la décision surprenante du
gouvernement bruxellois de construire un nouveau stade en
périphérie. Dans son communiqué du 4 juin 2013
(
3), le GERFA a critiqué cette décision dans ses
différentes implications budgétaires et linguistiques et
en s’interrogeant sur son opportunité par rapport aux
infrastructures existantes récemment rénovées.
Dans ce communiqué, le GERFA observait également :
« Enfin, l’embouteillage annoncé du ring ne fera que
renforcer la demande flamande pour son élargissement, ce qui
constitue un non-sens écologique pour Bruxelles, qui devra en
plus sacrifier une partie du bois du Laerbeek qui constitue un poumon
vert important du nord de Bruxelles ».
Une fois de plus, le GERFA avait vu juste, à cela près
que le Nord du pays n’a rien demandé et a mis Bruxelles devant
le fait accompli, sûr que Bruxelles ne réagirait
guère compte tenu de sa volonté d’obtenir son accord pour
le stade (
4), et qu’il a renoncé à amputer le bois du
Laerbeek, petite concession faite aux politiciens francophones qui
auraient dû faire face à une trop forte contestation en
cas d’atteinte à ce magnifique espace vert du nord de Bruxelles.
Le Nord du pays, par la voix de sa ministre CD & V de la
Mobilité Hilde CRIVITS, a cependant affirmé qu’une
concertation avait bien eu lieu avec… Brigit GROUWELS, CD & V,
ministre bruxelloise sous perfusion de surreprésentation, et
qu’ainsi Bruxelles avait été entendue !
Le gouvernement bruxellois est empêtré dans sa
parité non démocratique et son pâle
président parait dépassé par sa fonction. Il ne
parvient à imposer ni une vision pour Bruxelles ni son
autorité sur son propre gouvernement. Il se borne à
« prendre acte », alors que l’initiative de sa
ministre est pour le moins douteuse, voire déloyale. Et ce
n’est pas tout, puisque la même ministre déclare, à
propos du programme de la N-VA, qu’il y a des choses bonnes pour
Bruxelles comme la possibilité de choisir son régime
d’aide aux personnes. Alors que cette déclaration va à
l’encontre de tous les principes défendus par la Région
bruxelloise, le ministre-président ne réagit pas,
accréditant ainsi l’idée qu’une ministre flamande de
Bruxelles peut tout faire et tout dire et nuire aux
intérêts de la Région.
Que retenir de tout cela ? Deux choses :
— les négociateurs francophones se font constamment berner par
leurs homologues néerlandophones, soit par incompétence
pour une part, soit par crainte pour une autre part, et en
conséquence les Francophones sortent amoindris de chaque
négociation ;
— le modèle bruxellois basé sur une
surreprésentation renforcée des Flamands s’avère
de plus en plus nuisible dans la mesure où il bloque le
gouvernement bruxellois, entre autres dans sa volonté
d’approfondir ses liens avec la Communauté française et
la Wallonie ou tout simplement de dégager une vision d’avenir ou
de s’opposer aux décisions du gouvernement flamand, et dans la
mesure où les politiques flamands ne doivent rendre que peu de
comptes devant leur électorat bruxellois à la fois
limité et captif (
5).
(
1) Force opérationnelle à but précis dont le
principe a été créé par les armées
américaines du Pacifique en 1941 !
(
2) Pour une description plus précise de cette affaire, voir
l’article BHV : Comment être roulé dans la
farine ?, pp.14 et 15 de cette livraison.
(
3)
Communiqué du 4 juin 2013 « Le nouveau stade du
Heysel : une très mauvaise décision »,
publié en juin (« d » n° 309, p.8) et
sur le site du GERFA.
(
4) Déclaration de Didier GOSUIN au Soir du 28 octobre
2013 : « Je crains que, si le gouvernement bruxellois
ne parle pas de recours, c’est parce qu’il est coincé avec le
stade. Ce sera un grand troc politique, dont les Bruxellois seront les
dupes »
(
5) N’oublions pas que 17 parlementaires flamands du Parlement
bruxellois sont toujours certains d’être
« élus », quel que
soit le nombre de suffrages qu’ils recueillent ; cela veut dire
qu’en fait, ce sont les appareils de parti flamand qui font les
députés flamands de Bruxelles.